NIGEL THORNE, PAYSAGISTE À LONDRES, VICE-PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATIONMONDIALE DES PAYSAGISTES (IFLA), DONT IL EST PRÉSIDENT DE LA SECTIONEUROPE « Être aux avant-postes des changements de la société »
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En août, les jeux Olympiques ont mis Londres sur le devant de la scène.L'occasion pour nous de rencontrer Nigel Thorne, paysagiste et président de laFédération des paysagistes britanniques.
Comment les professionnels de l'horticulture se portent-ils auRoyaume-Uni ?
La situation est très contrastée, peut-être moins simple qu'on peutl'imaginer. Dans son ensemble, la profession survit mais n'est pas en aussibonne santé qu'elle devrait l'être. La clientèle privée, qui a toujours eu del'argent, n'est pas affectée par la crise financière, mais les collectivitésterritoriales et les promoteurs de moyenne envergure se battent pour pouvoirencore mener à bien des programmes de construction, ce qui a inévitablement uneffet sur l'horticulture et le paysage.
Les jeux Olympiques sont terminés. Ont-ils apporté beaucoup d'activité aupaysage ?
Je crois que les Jeux ont offert un grand nombre d'opportunités à une grandediversité d'entreprises du secteur, que ce soit au Royaume-Uni ou en dehors. Jepense qu'ils ont été une expérience très positive pour de nombreusesentreprises dans le pays et en Europe.
Le « made in France » est un débat très actuel dans l'Hexagone, àrapprocher de l'achat massif de plantes à l'étranger. Ce débat existe-t-il dansvotre pays ?
Il existe et ne porte pas que sur l'horticulture ! Nous vivons dans un mondetrès ouvert et les produits circulent facilement. Si un fournisseur étrangercultive ce qui convient à un client, et s'il n'y a pas d'équivalent dans lepays, il est alors inévitable d'avoir recours à l'importation. La concurrenceest saine et doit être encouragée, mais si le client demande spécifiquement desproduits locaux, il ne peut y avoir d'autre fournisseur qu'une entrepriselocale. Si l'on regarde la profession en termes de « soutenabilité » (*),peut-être qu'alors acheter local devient plus acceptable, mais c'est quelquechose qui n'a pas encore été vraiment analysé ni débattu.
Autre débat en France aujourd'hui : le coût du travail. Comment ceproblème est-il perçu chez vous ?
Le coût du travail en horticulture et dans le paysage a toujours été sourcede débats passionnés. Mon point de vue personnel est que, pour un pays « pleinde jardiniers », le Royaume-Uni sous-évalue largement ceux qui, dans lafilière, sont bien formés et font bien leur travail. Il est certain que mêmeles meilleurs professionnels, travaillant pour les organisations les plussérieuses comme le National Trust restent relativement mal payés. Je pense quela profession devrait être mieux reconnue et je suis reconnaissant à ceux qui,en France, sont capables d'accepter des commandes à un prix permettant de vivre!
Comment sont les relations entre les producteurs et le monde du paysage,au Royaume-Uni ?
Globalement pas toujours très bonnes (il y a des exceptions !) et je penseque cela est dû à un manque de communication. Pour qu'il y ait harmonie, ilfaut qu'il y ait du respect et pour que ce respect existe, il faut unemeilleure compréhension de ce que chacune des parties apporte à la profession.Il y a toujours beaucoup d'idées reçues d'un côté comme de l'autre, et, à moinsd'un dialogue ouvert et honnête, on n'arrivera jamais à rien. Mon expérienceprouve que lorsqu'il y a dialogue, collaboration et coopération, on peut faireaboutir les projets les plus ambitieux.
Quelles sont les attentes des professionnels britanniques vis-à-vis despolitiques ?
Que le métier ne soit plus réservé aux « pauvres gars » ! Bien que le jardinet l'horticulture aient toujours été fortement liés à l'histoire du pays, nousavons toujours été traités avec un peu de dédain et regardés comme des gensfaisant un travail à la portée de n'importe qui. D'où la sous-évaluation denotre activité.
En France, un gros travail de lobbying est fait par les professionnelspour mettre en avant le rôle que doit jouer le végétal dans le futur, aubénéfice de la qualité de vie. Ce travail existe-t-il en Angleterre ?
Le fait que les notions de « changement climatique » ou de « développementdurable » occupent désormais une place prépondérante sur les agendas de tousles gouvernements signifie au moins qu'il y a une opportunité de confronter lespolitiques à des professionnels capables de prendre en main ces questions etayant des approches alternatives. Lentement, une reconnaissance de la capacitéde notre profession à changer radicalement, à améliorer la santé, l'éducation,l'environnement et à inverser la tendance en matière de changement climatiquefait son chemin. La vie urbaine et la création d'espaces dans lesquels les gensaient envie de vivre, travailler, se relaxer et prendre du plaisir, ne relèvepas que de la création d'immeubles. Ces derniers doivent s'intégrer dans uncontexte favorable et le paysage a ici un rôle prépondérant à jouer.
Comment imaginez-vous les dix prochaines années ?
Les concepts de « développement durable » et de « changement climatique »resteront au premier plan des challenges politiques. La population urbainecroît et, du moins en Europe, vieillit. La demande de cette populationchangeante sera l'objet de toutes les attentions des décideurs, avec à la cléplus de temps pour les loisirs et le besoin de disposer d'espaces facilesd'accès et répondant à leurs attentes, que ce soient des jardins publics, desplages, des parcs d'attraction... Ces espaces seront planifiés, conçus,améliorés, dirigés et leur entretien sera scruté avec attention par l'ensemblede leurs usagers. Par ailleurs, la pression pour que les espaces verts soientplus que des réalisations purement esthétique va aussi s'accentuer. On voitainsi monter une demande pour des jardins nourriciers impliquant de recréer deszones de production de légumes, ce qui va redevenir terriblement nécessairedans un monde appelé à réduire drastiquement sa consommation d'énergie fossile.Beaucoup de facteurs vont contribuer à changer la face de l'horticulture, dupaysage et de l'environnement, et nous, professionnels, devons être auxavant-postes de ces changements.
Pascal Fayolle
(*) Nigel Thorne utilise le terme sustainibility, généralementtraduit en français par « durabilité » ; nous préférons la notion plusbritannique de « soutenabilité ».
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